Coronavirus et les mutations du manager "confiné"
Alors nous voilà confinés par cette épidémie inquiétante. Encerclés par le corona , étymologie de “couronne”, insigne d'autorité et de puissance. En physique on parle “d’effet corona” quand se forme cet étrange halo lumineux. Comment pouvons-nous sortir plus puissants et plus éclairés de cette crise ?
L'annonce du confinement de notre pays, puis du monde entier, résonne encore comme un tremblement de terre, une catastrophe subite. Soudain, depuis 10 jours nous sommes passés d’une routine connue à un monde nouveau et incertain. Pour certains, c’est très douloureux, paniquant, sidérant. Nous avons tous le sentiment, à certains moments de la journée, d’avoir perdu nos moyens et repères.
Parce que la vocation du coach est d’accompagner les changements subis ou choisis, et d’accélérer les nouveaux apprentissages, nous prenons la mesure de notre responsabilité. Notre mission est d'aider nos clients à augmenter leur capacité à prendre du recul et agir différemment dans ce contexte extraordinaire. Pour traverser une telle crise, les managers que nous accompagnons sont en train d’apprendre à :
Découvrir et mobiliser des ressources (inexploitées)
Ces ressources sont internes, elles peuvent prendre de multiples formes selon l’histoire de vie et la personnalité de chacun : calme, confiance, courage, audace d’oser dire et d’oser faire autrement, empathie, humour, prise de hauteur, écoute …
La première semaine du confinement, Hélène a passé beaucoup de temps à appeler ses collaborateurs pour les écouter et les rassurer. Elle qui, auparavant s’ennuyait un peu « dans ce poste sous-dimensionné » qu’elle n’osait pas quitter, se révèle calme, courageuse, rassurante pour son équipe, bref une “vraie leader”. « La crise m’a permis retrouver le goût du management, j’aime ce métier ». Paradoxalement, Hélène se sent beaucoup mieux qu’avant dans son job et commence à se dire qu’elle n’a peut-être pas besoin d’en changer…
Pour accompagner un changement brutal, les compétences relationnelles sont cruciales. Et nous observons que ceux qui en manquent sont rapidement discrédités. Ainsi Hubert, ce directeur industriel connu pour son intransigeance et déjà peu apprécié, s’est montré totalement sourd aux angoisses et au besoin de soutien de son équipe lorsque la crise a éclaté. Résultat, il a été disqualifié en pleine réunion par les équipiers les plus inquiets qui l’ont publiquement accusé d’incompétence. Hubert n’a pas su comment réagir et a perdu le leadership à ce moment-là. L’équipe s’est choisi un autre leader, son n-1 Frédéric qui s’est littéralement « révélé » en ces temps difficiles. Ce dernier, doté de qualités humaines exceptionnelles, a su rassurer, écouter et fédérer l’équipe à la place du chef. Hubert a même implicitement reconnu le leadership de Frédéric, lui demandant de l’aide. Pour la première fois, Hubert apprend à écouter …
Sylvie au contraire, est plutôt contente de la façon dont elle a géré la crise pendant cette première semaine. Elle qui d’habitude délègue beaucoup, a su s’adapter au besoin des collaborateurs restés sur le terrain en devenant plus directive pour répondre aux milles questions opérationnelles nécessitant des décisions rapides. Avec ses cadres en télétravail, elle a eu l’intuition de maintenir une communication aussi bien individualisée que collective pour écouter et accueillir leur désarroi. Son enjeu est maintenant de les garder mobilisés autour du projet d’entreprise à long terme, alors que leur activité quotidienne est au ralenti.
Changer de posture
Paul a du mal à poser des limites. Quand il apprécie un manager, il le laisse empiéter sur son terrain et n’ose pas s’exprimer. Certains de ses pairs parviennent même prendre de l’ascendant sur lui. Dans son coaching, transformé, confinement oblige, en séance visio, Paul a pris conscience que la distance physique créée par le télétravail lui permet de poser plus facilement des limites avec ces personnes. Il a d’ailleurs commencé à reprendre sa place. Pour lui, les signes ne trompent pas : il ose faire attendre certaines personnes quand il est déjà occupé, leur signifiant ainsi que leur planning ne prime pas sur le sien. Il ne répond plus au téléphone en dehors des heures de “bureau”, maintenant que l’entreprise s’est réorganisée en télétravail. Enfin, il ose confronter les idées et les personnes s’il n’est pas d’accord.
Olivier est un dirigeant très reconnu dans sa capacité à faire aboutir des projets complexes. Mais sa hiérarchie et ses collaborateurs voient en lui un manager (trop) exigeant, impatient, avec une communication abrupte et peu d’écoute. Pourtant Olivier a une vraie passion pour son métier de manager et un intérêt pour développer ses collaborateurs qu’il n’a jamais pu démontrer auparavant : « je n’avais le temps de rien, j’étais sur-sollicité et du coup, j’allais au plus pressé ». Cette situation de crise lui donne l’occasion de consacrer une plus grande partie de son temps à son équipe. Il se met au rythme de chacun lors de points téléphones réguliers. Il écoute les difficultés et ne se fixe pas d’autres objectifs. L’impact de sa transformation est remarqué : « lorsque j’ai demandé à mon collaborateur quel était le meilleur moment pour se parler, il m’a dit avoir été surpris par ma demande ». « J’ai besoin que mon équipe sache qu’elle est plus importante pour moi que le reste et maintenant je le lui montre. » Olivier saisit donc cette crise pour faire évoluer son identité et son image de manager.
Renforcer les liens et les alliances
L’épidémie crée des tensions. Elle révèle au grand jour des conflits qui étaient larvés, elle génère de l’intolérance, des comportements égoïstes et des décisions incohérentes résultant de la peur. Après la crise, les managers seront jugés sur leur capacité à mobiliser leur équipe à distance, sur les liens qu’ils auront maintenus, créés ou endommagés … Garder, renforcer et préserver les liens va aussi permettre de traverser cette crise et de repartir sur des bases solides. Pour cela, il est indispensable de communiquer de manière plus explicite afin d’éviter les malentendus dans le travail à distance. En effet, le téléphone et la visioconférence entraînent une perte des messages non-verbaux qui représentent 70% de ce qui est effectivement communiqué dans un échange. Il existe en outre un risque de perte de confiance : on ne sait plus ce que font vraiment les gens qui sont en télétravail chacun chez eux, avec des connections parfois défaillantes. Il faut donc s’appeler plus souvent et se dire plus de choses qu’auparavant. La crise nécessite d’oser s’appuyer les uns sur les autres. C’est vrai au niveau sociétal, mais aussi dans les équipes, les notions de co-responsabilité et d’interdépendance sont encore plus centrales qu’avant.
Vincent est Directeur Informatique et ses équipes sont très fortement sollicitées par la crise. Pour des raisons techniques, l’entreprise a dû se résoudre à couper la vidéo, ce qui rend les échanges délicats. Personne ne peut plus « se voir ». Vincent s’est retrouvé en copie d’échanges mails de plus en plus agressifs entre un collaborateur de sa direction et un autre de la direction de la communication. Plutôt que d’attendre que la situation se tende (il sait que ses relations avec cette direction ne sont pas au beau fixe), il a choisi d’appeler le directeur de la communication afin de mieux comprendre la situation et trouver avec lui une solution. Ils ont décidé ensemble d’intervenir dans le fil de discussion afin d’apaiser la situation et ont signé conjointement le mail. Cette action est une première pour les deux directions!
Réinterroger l’essentiel : la question du sens
Un astronaute qui donnait récemment des conseils pour vivre en confinement disait : « Pour tenir le coup, il faut toujours penser au but ». C’est en effet une question qu’un coach pose souvent : pour quoi faites-vous cette action ? Au nom de quoi, quelle est l’intention ? Mais cette question, nous devrions nous la poser bien plus souvent car elle est fondamentale pour se reconnecter avec la façon dont nous avons envie de mener ma vie, et non la subir.
Jacques est directeur d’activité. Depuis le début de la crise, il est extrêmement sollicité par sa direction et les autres BU qui lui demandent énormément de reporting. Il se sent parfois très stressé. Ce qui l’aide à tenir et le recentre, c’est de rappeler pourquoi il a accepté ce job : créer des emplois et manager des équipes. Ces deux sujets ont toujours motivé ses choix de carrière. Ainsi, il sait ce qu’il a à faire : sauver les emplois et prendre soin des personnes dans cette période de crise. Alors il revient à ses priorités, sélectionne les sujets de communication qu’il juge pertinents et parvient à arbitrer facilement : « je me sens libre d’agir et paradoxalement j’ai l’impression d’avoir plus la main sur mon activité ».
Apprendre à accompagner le changement
On peut analyser les raisons de cette épidémie, les entreprises françaises sont d’ailleurs très compétentes pour chercher les root causes… Mais une question plus intéressante serait : Comment “réussir” la prochaine crise ? Comment se préparer au changement permanent, apprendre à le vivre pour soi et à l’accompagner et le faciliter pour les autres ?
Du point de vue de la sagesse antique taoïste, nous sommes entrés dans une phase yin 阴de ressourcement de soi et de la planète. Le temps est notre allié pour peu que nous acceptions qu’il ait changé de forme. Le temps yin 阴est celui de la réflexivité, de l’accueil du présent, de prise de hauteur vitale. Car c’est un changement de paradigme qui se prépare, maintenant que la course folle s’est arrêtée, d’autres choses vont émerger, des apprentissages et des innovations générés par cette crise et qui doivent être capitalisés. La crise, c’est l’occasion de changer ce qui ne fonctionne pas.
Géraldine se dit que la généralisation du télétravail dans son comité de direction est enfin l’occasion d’initier la réflexion sur la transformation de l’organisation. Jusqu’à présent, ses managers repoussaient ce moment, invoquant toujours les contraintes diverses qui empêcheraient tout changement. Cette période de confinement va servir de préparation du grand changement dont son entreprise a besoin.
Pour Hervé, directeur international, puisque le monde entier est à l’arrêt, c’est enfin “le moment de faire tout ce qu’on n’a jamais le temps de faire” avec ses équipiers. Par “faire”, il entend en fait penser, prendre du recul, réfléchir à de nouvelles idées pour inventer des projets et partenariats innovants. C’est donc du yin 阴 plutôt que du yang 阳 symbole d’action, d’élan, de rebond énergique.
Le coaching l’aide à prendre du recul et se ressourcer pour trouver des leviers, préparer le rebond, le retour à la phase d’activité . En tant que coachs, nous expérimentons, depuis la semaine dernière, de nouvelles formes d’accompagnement pour soutenir nos clients. Le coaching en visioconférence permet ainsi d’expérimenter la relation « à distance », d’observer ce qu’elle permet ou inhibe en termes d’oser dire, ce qu’elle crée de nouveau dans les interactions en face à face et en réunion à plusieurs. Nous sommes aux côtés de nos clients pour les accompagner sur les sujets majeurs qui émergent :
· Comment soutenir et protéger mes collaborateurs dans ce changement subi ?
· Comment manager à distance ? : mettre en place mon cadre de travail, définir mes priorités, gérer mon stress et celui des autres, fédérer et re-mobiliser mes équipes
· Comment préparer la sortie de crise ? : Quels sujets/projets pousser dès aujourd’hui pour être prêts demain ? Quels sont les apprentissages et les innovations générées par cette crise, ce qui doit être capitalisé, ce qui doit changer après la crise ?
Et vous ? Quels sont les sujets qui vous préoccupent en ce moment ?