Cherchez le bouc-émissaire
Pendant la crise covid-19, les fonctions support informatiques ont été soumises à forte pression car les entreprises n’étaient pas toutes prêtes à passer en télétravail. On a pu observer une forme d’agressivité tournée vers ces équipes-là et des bouc-émissaires ont émergé. Ce phénomène archaïque se produit constamment dans les équipes et les organisations, et plus particulièrement en période de crise.
Il existe des fonctions bouc-émissaire et même des départements bouc-émissaires. Cela peut-être, selon les cultures d’entreprise, “la DSI qui ne nous soutient pas assez”, ou “la DRH qui n’est pas là quand on en a besoin” ou le bureau d’étude “pas être assez réactif, qui nous fait perdre des contrats”.
Le bouc émissaire est une "soupape d'échappement" qui détourne l'attention d'autres problèmes plus importants, il permet au système de "se détendre". En effet, le moteur ultime du phénomène, c’est la préservation du tabou du groupe (ce que tout le monde sait mais qu’il ne faut pas dire) et parfois de ses valeurs fondatrices.
En entreprise, cette mécanique se développe souvent dans les équipes dont l'identité, les rôles et missions de chacun ne sont pas clairs : le bouc émissaire cimente le groupe autour d'une polarité commune. D'ailleurs, lorsqu'un bouc émissaire donné est définitivement écarté, un autre est désigné pour le remplacer dans ce rôle expiatoire. Ce bouc-émissaire peut se trouver à l’intérieur ou à l’extérieur de l’équipe. Il dénonce par ses actions directement ou indirectement ce flou dans l’équipe qui réagit plus ou moins fortement afin de tenter de maintenir un équilibre.
Martin est devenu bouc-émissaire dès son arrivée à la Direction Marketing car, venant d’un univers très différent, il n’a pas respecté les us et coutumes de sa nouvelle entreprise. Or, il était justement recruté pour son expertise métier avec pour mission d’augmenter le professionnalisme de la fonction. En d’autres mots, il devait faire bouger les lignes. Mais dès la première réunion du codir, sa communication a été jugée « trop directe ». En outre, il a osé évoquer des sujets sensibles dont il était mal vu de parler (les tabous). Pour couronner le tout, il a pris en charge un sujet qui faisait partie de son périmètre officiel, mais était en fait sous la coupe d’un autre directeur, qui se l’était attribué de façon officieuse. Inévitablement Martin s’est mis à dos tout le codir. On parlait à son sujet d’«erreur de casting ». Le DG a imposé un coaching à Martin, pour l’aider à prendre sa place. De façon intéressante, le coaching surtout a permis de révéler le processus de « bouc-émissairisation » issu du flou dans les délimitations des périmètres mais aussi des injonctions paradoxales à son égard, qu’on pourrait résumer ainsi : « apporte du changement, mais surtout ne change rien ! ». Martin s’est bien approprié son coaching pour en faire un levier d’intégration dans le codir. Il a pu retrouver l’intégralité de son périmètre tout en assouplissant sa communication de façon à mieux collaborer avec ses pairs et atteindre ses objectifs de façon plus stratégique.
Comment faire avec de tels processus ? Le risque majeur lorsque l’on tente de stopper un mécanisme de bouc-émissaire est de le renforcer ou de devenir le bouc-émissaire soi-même. Une première étape est d’abord d’être capable de repérer ce phénomène et les conditions qui favorisent sa mise en place, avec l’aide d’un tiers coach qui facilite la prise de recul “meta”. Il pose un cadre de protection et oser dire qui crée un espace de la régulation afin que la parole puisse à nouveau circuler et que des tabous soient levés au sein du collectif. Suivra un travail collectif de clarification des modes de fonctionnements, des rôles, des objectifs et/ou des périmètres pour instaurer de la coresponsabilité et mettre fin au cercle vicieux du bouc-émissaire.
Lors d’un séminaire de médiation entre deux équipes en tension, les ingénieurs du bureau d’étude qui se sentaient “bouc-émissairisés” par leurs collègues commerciaux, ont pu partager leur sentiment d’injustice qui a été entendu. Les commerciaux se sont finalement rendu compte que le problème ne venait pas tant du bureau d’étude que de l’organisation « pas claire », d’objectifs « non partagés », produits d’une vision qui n’était « même pas définie ». Ayant ensemble réalisé le diagnostic de ces dysfonctionnements, ils ont décidé de faire un “pacte de bonne collaboration” pour s’assurer qu’il n’y ait plus la tentation de se rejeter la faute la prochaine fois qu’ils auraient des difficultés à collaborer. Ce faisant, ils ont découvert le plaisir de vraiment travailler ensemble !